mardi 12 février 2013

Maman est morte mardi dernier

Préambule

Attention aux suiveurs du blog. Y a pas beaucoup d'articles, alors vous noterez l'élégance du gars qui prend le temps d'écrire un préambule, pour les préambuler que ce billet est un peu particulier. Cette fois, pas de leçon de vie sur les cons, ni d'explication sur l'origine des poissons ou le sens de la vie.

Il s'agit de pensées couchées sur le papier la semaine dernière (nous somes en février 2013), presque une par jour. En moyenne. Entre la mort de ma mère et son enterrement. Au passage, je l'ai fait en utilisant Day One, acheté il y a peu, et que je vous conseille vivement. Ca se synchronise entre le Mac, l'iPad, l'iPhone et c'est joli.

Il y a donc des passages rigolos, forcément, parce que c'est comme ça. Mais aussi quelques passages moins rigolos. Et même des passages factuels.

Et surtout, c'est long. C'est très long.



09/02/2013


Décédée le 5 février 2013 à 07:30 à l'âge de 86 ans.

Les gens du "Réseau Quiétude", un toubib (le Dr Diez) et une dame (cadre infirmier dont le nom m'échappe, mais je crois l'avoir mis dans une note Evernote. Bouge pas, je vais voir . . . Lacour. Voilà. Me Lacour, cadre infirmier) ont été très peu optimistes sur les possibilités de récupération de maman.

Bon, je mets une note d'humour parce que c'est ce qui vient spontanément. C'est comme ça qu'elle nous a fait aussi, quelque part. Pas elle seule bien sur. Elle, la vie et les rencontres nous ont aussi sculptés.

Elle est morte un peu des suites d'une longue maladie comme on dit. Enfin, carrément de ces suites finalement.

Je suis soulagé. C'est égoïste, mais je le suis (soulagé. Égoïste aussi d'ailleurs !). L'attente de la mort de sa mère est difficile. Quand on l'aime en tout cas. Probablement aussi quand on l'aime pas d'ailleurs, quand on y pense.

Je suis persuadé qu'elle en avait vraiment marre. Qu'elle en pouvait plus. Parfois, je crois qu'elle essayait quand même de se battre contre ce sentiment et qu'elle voulait malgré tout lutter, mais c'était de brefs moments, et je vois trois raisons principales à ces sursauts. Je ne saurais les classer par priorité alors je les mets en vrac :

  • Son côté super croyante, catho et tout et tout. Lâcher prise, quelque part, elle le voyait peut-être comme une forme de suicide, et ça, c'est pas autorisé.
  • La peur de la mort. Finalement, on a beau être très croyant, ben on sait jamais vraiment. Allait-elle vraiment aller au paradis ? Allait-elle passer un peu de temps au purgatoire ? Ça, ce s'rait l'ponpon ! Maman au purgatoire ! Non mais je rêve. Pour le coup, je serais allé moi-même foutre un gros coup de boule au dispatcher (St Pierre je crois ? Ou Jésus soi même ? Je sais plus).

Bon, en fait, je vois que ça fait seulement deux raisons et pas trois. J'en avais trois en tête quand j'ai commencé la liste, mais une est partie. Si elle me revient, je l'ajouterai au flux.

Vendredi matin j'ai pu lui dire au revoir tranquillement. Elle était encore un peu consciente quand on la réveillait et la stimulait. La preuve : quand je lui ai dit que j'avais appelé Serre (son médecin), elle m'a engueulé dis donc. Ca m'a fait marrer. Elle avait depuis déjà 1-2 ans des accès d'énervement que je qualifierai de frontaux (au sens médical). Mais tiens, maintenant que j'y pense, elle a été vraiment super cool avec nous, nous épargnant les choses que d'autres vivent avec leurs parents genre la démence, la sénilité totale et toutes ces merdes qu'on aurait vraiment très mal vécu.

Avant de revenir sur sa force en fin de vie, je reviens sur le début du paragraphe précédent et l'au revoir. J'ai donc pu lui dire clairement les choses fondamentales suivantes. Que je l'aime. Qu'elle s'est parfaitement occupée de moi. (Putain, je chiale comme une madeleine en écrivant ca. Heureusement que j’connais bien les touches de mon clavier, elles sont sous l'eau). Que ses trois enfants l'aiment. Qu'elle s'est parfaitement occupé de nous trois. Qu'on est fiers d'avoir une maman comme elle.

Et j'ai même osé lui dire qu'elle pouvait partir quand elle voulait, fière de ce qu'elle avait accompli ici. Et ça, ben c'est pas facile à dire, parce que ça veut dire que tu laisses partir justement. Bon, bien sur, t'as pas de droit sur « je reste » « je pars », hein, mais je suis sûr qu'avec un minimum de neurones, on peut comprendre ce que je veux dire sans que j'ai besoin de l'expliquer. Et si t'as pas le minimum de neurones requis, ben de toute façon, t'es pas en train de lire ce texte.

Elle est morte chez elle et pas à l'hôpital et c'est bien. Il était parfaitement clair que l'hôpital n'aurait servi à rien du tout. Hors de question qu'on l'emmerde avec des tubes et des machins, et on pouvait très bien organiser les choses à domiciles. La preuve, d'ailleurs, s'il en était besoin, que les médecins la voyaient morte à très court terme, c'est qu'il n'a pas été besoin de commander un lit médicalisé, le simple changement de lit pouvant lui faire mal et la gêner beaucoup dans ses derniers instants (vous ai-je dit qu'elle était en état de choc à la fin ? J'ai bien repéré qu'elle était, comme on dit, "marbrée". Cyan… bon je m'arrête, pas besoin de détailler ces choses). En tout cas, quand je voyais des gens comme ça à mon époque urgentiste, j'étais pas moi même très optimiste !


09/02/2013



Depuis avant hier, quand j'ai commencé ce, heu, je ne sais comment le nommer, heu ce document (ça fait boulot), cet article (ça fait sérieux), ce truc (ça fait machin), enfin bon, depuis que j'ai commencé à écrire sur la mort de la mère, j'ai eu plusieurs coups de fils et discussions. Avec des amis, qui soit ont connu maman soit m'apportaient leur soutien. Avec des cousins/cousines, dont certains que j'ai pas revu depuis peut-être mon adolescence.

Non, ça non, en fait ceux qui m'ont appelé, je les ai revu disons au moins une fois au cours de ces 10 dernières années. Et y en a que j'ai appelé moi-même pour les prévenir et qu'ils diffusent la nouvelle à ceux dont on a pas les numéros.

D'ailleurs, en parlant de diffuser l'info, ça me fait penser que je m'attendais à ce que la nouvelle de cette disparition s'auto diffuse toute seule, tu vois, genre une grande vague de tristesse recouvre le monde, brièvement, puis s'éloigne, et chaque terrien, pendant un très bref instant, ressent un petit quelque chose, un manque, une douleur. Puis Twitter aurait du fermer ses serveurs, submergés de tweets sur la mère. Les datacenter de FaceBook auraient fondus sous la charge des publications de ses abonnés. Apple aurait changé sa page d'accueil pour y mettre une photo de maman tapant son bottin familial sur le Mac G3 orange qu'elle avait. Je croyais même que la cravate d'Hollande se serait redressée toute seule pendant quelques instants.

Dans les discussions que j'ai eues avec ceux qui l'ont connu, il y a trois caractéristiques qui sont revenues constamment. Je veux dire que ça a fait du 100% de présence. Sourire, bonne humeur, courage, gentillesse, présence.

Oui, ça fait cinq. Mais tu vas pas m'emmerder avec ça, je te rappelle que j'ai perdu ma mère, merde.

Sophie m'a dit un truc très gentil: “Si je devais décrire une Sainte, elle aurait le visage de ta maman”. C'est pas mal ça, pas vrai ? Elle, maman, elle aurait eu sa réaction habituelle quand on lui fait un compliment. Je la vois absolument très clairement. “ocouououte !”. C'est la contractions de “Oh Écoute”, avec tête qui se détourne, main qui se lève pour dire “ferme ta gueule”, mais avec la classe de maman, c'est à dire que la main se lève, mais le geste final ne se fait pas : on le comprend. Elle aimait pas trop qu'on lui fasse des compliments. En fait, je crois plutôt qu'elle était gênée, mais je suis pas sûr qu'elle aimait pas. Qui n'aime pas les compliments, sans déconner ?

Beaucoup, dans la famille, ressentent sa disparition de façon manifestement douloureuse. Et ils l'expriment assez bien. Il y a les souvenirs qui reviennent par exemple. Et tous me parlent de son sourire et du fait qu'avec elle on se marrait bien. Elle faisait toujours des blagues, elle racontait des anecdotes sans jamais omettre les détails rigolos, même s'ils - et surtout s'ils - étaient un peu scabreux, osés. Sa présence dans les moments difficiles est aussi quelque chose qui revient très souvent, quand un de ses frères ou une de ses sœurs connaissait des difficultés de santé.

Tous ces passages sur sa gentillesse, sa bonté, son dévouement, son courage, ben ça fait un peu lourd quand même, tu trouves pas ? Ca met le niveau super haut. Et en plus ça oublie qu'à l'époque où filer une torgnole à son gamin n'était pas vu comme une maltraitance, une honte pour la famille, le signe d'une pathologie psychiatrique, un délit passible de la tôle, mais juste comme une façon de signifier à son trou du cul de gamin qu'il dépasse les bornes et que quand on dépasse les bornes, on prend d'la baffe, et ben à cette époque on a un peu mangé quand même. Je ne parlerai pas pour Tristan, il le fera peut-être lui-même. Je parle pour moi : j'avais quand même droit à la fessée avec la canne blanche de bonne-maman. Non mais tu t'rends compte ? Sous prétexte que j'avais fait une grosse connerie, maman allait piquer la canne d'une aveugle ! Je répète: elle allait piquer la canne d'une aveugle et s'en servait pour me taper les fesses avec. Ah ah ! Tu la trouves toujours gentille ?

Ben bien sûr !

Bien sûr que ça n'enlève pas un quart de demi gramme de son immense gentillesse. D'abord ça faisait même pas mal (et je lui disais : “ça fait même pas mal !” ça la foutait en rogne), et ensuite, ce qui m'était douloureux, c'était d'avoir été celui qui l'avait foutu dans une telle rage. Ca, ça me foutait bien les boulos.

Allez, avoues-le : t'as eu un peu peur en lisant le passage sur la fessée, pas vrai ? t'as commençé à te dire « oh mon Dieu oh mon Dieu elle tapait ses enfants ? ». Ben non. J'ai juste voulu jouer avec toi. C'est exactement l'effet que je cherchais. Bien réussi. Cool.

Revenons aux souvenirs.

Les cousins ont aussi tous évoqué son courage. Courage parce qu'elle a affronté la mort de papa avec, ben, heu, courage quoi. En fait, je sais pas vraiment avec quoi d'autre elle aurait pu l'affronter. Ca l'a dévasté cette mort soudaine, imprévue, injuste. Coup du sort répugnant qui l'a privée d'un mari qu'elle adorait. C'est dégueulasse. Courage aussi quand elle est allée habiter chez bonne-maman. Sa mère, donc. Je ne sais pas vraiment quoi en penser de cette partie.

Est-ce qu'elle a eu raison ? Est-ce qu'elle eu le choix ? Je crois qu'elle a pas eu raison mais qu'elle a pas non plus eu le choix.

J'ai un souvenir confus d'en avoir parlé avec elle il y a longtemps. Bonne maman était déjà âgée, et déjà aveugle. Ceux qui étaient chez elles devaient partir. Je sais plus qui c'était, mais je crois qu'ils commençaient à avoir des gamins tout ça. Et je suppose qu'ils voulaient aussi être tranquilles. Ils avaient fait leur part en quelque sorte, c'était le tour de quelqu'un d'autre. À cette époque, on habitait chez oncle Henri. Un des frères ainés de maman. Qui l'a recueillie à la mort de papa. Et nous aussi. Hop ! Tout l'monde chez lui. Trop cool le Riton. Il aimait pas qu'on l'appelle Riton d'ailleurs, mais Tristan et moi, quand on était plus grand, ça nous faisait bien marrer. Oncle Henri lui a déconseillé d'accepter d'aller habiter chez bonne maman. Je ne sais vraiment pas pourquoi elle a accepté. Ça a dû mélanger plusieurs sentiments que je peux facilement imaginer chez elle. Cette espèce de sens du devoir comme on dit. Des choses doivent être faites. Il faut les faire. Et tu comprends, les possibilités étaient les suivantes : y avait deux frères célibataires (Olivier, le tout, tout dernier de la fratrie, et Xavier, mon parrain), et une sœur ainée célibataire (Jeanne-Marie, qui avait déjà deux enfants - c'est une autre histoire). Donc ça faisait trois célibataires potentiellement disponibles. Mais aucun n'habitait Paris. Alors que maman, ben elle était à Paris et elle bossait à Paris. Donc bon, elle a du se dire qu'il n'y avait qu'elle de possible. Je suis certain que ça l'a bien fait chier, au bout du compte. Tu vois le tableau ? Non, probablement pas, alors je te le décris. On est une grande famille. Des deux côtés d'ailleurs, tant maman que papa, mais là, j'vais m'limiter à la famille côté maman.


[09/02/2013 – plus tard que celui d’avant]



Les Trolley-de-Prévaux. Bon-papa et bonne-maman. Madeleine. Née Bigle. Ce qui, quand on se rappelle qu'elle a été aveugle assez tôt, fait dire que les noms des fois, c'est rigolo.

T'as pigé ?

Bigle.

Bon.

Ok. Je m'excuse.

Bon-papa et bonne-maman ont eu plein d'enfants. J'essaye de les lister mais me demande pas d'ordre hein, je suis uniquement sûr de la position d'Olivier (le cadet) et Chantal (l'avant-cadet). Y'avait aussi Henri, Jeanne-Marie, Monique, Michel, Gonzague, Xavier et Roland. Ca fait quand même 9 enfants tout ça. Neuf. Bouzou ! Ça c'est de la famille dis donc. Les bons-papa-maman, hein, hop ! Ca y allait une fois couchés !

À la fin de la fratrie, donc, tu trouves maman. Juste avant Olivier. Faut réaliser que les enfants des ainés n'étaient pas toujours tellement plus jeunes que maman. J'ai des cousins cousines qui ont, je sais pas moi, 10, 15 ans de moins que maman.

La famille Trolley est une famille bourgeoise qui est fière de s'appeler Trolley de Prévaux. Elle n'est pas riche au sens Arnault ou Bettencourt. Je me rappelle même d'histoires racontant que tout n'était pas si rose en terme de pognon. Mais bon. Personne n'était à la rue, y a eu des restrictions liées à la guerre, tout ça mais globalement, la famille correspond parfaitement à la définition de la famille bourgeoise de l'époque. Avec aussi ses histoires, ses animosités, ses scandales étouffés, ses secrets et toutes ces conneries qu'à l'époque on trouvait super important alors que c'est juste con. Par exemple cette histoire de la fille d'un couple de résistants abattus juste à la fin de la guerre. Toute jeune, elle a été recueillie par je ne sais plus quel grand-oncle (je parle ici de la génération d'adultes avant maman, ses propres oncles donc) et elle n'a appris que par hasard et quand elle était déjà bien adulte, qui étaient ses vrais parents. Enfin dans le genre quoi. J'ai jamais compris les explications de pourquoi on lui avait caché ça. Elle en a fait un bouquin d'ailleurs, attends, je fais appel à ma super mémoire pour m'en rappeler (et un tout petit peu appel à Google) : « Un amour dans la tempête de l'histoire ». C'est ici, et voilà un extrait de la 4e de couv. :

« [...] Cet ouvrage d'une force saisissante ne ressemble à aucun autre. Tout dans ce livre sort de l'ordinaire. À commencer par sa genèse : à vingt-trois ans, l'auteur s'étiolait à la Bibliothèque nationale, travaillant à un mémoire sur le dualisme cathare, quand un lecteur âgé qui avait surpris son nom à la dérobée sur une fiche affirma reconnaître en elle la fille de deux résistants fusillés par les Allemands, Lotka et Jacques Trolley de Prévaux, dont elle ignorait jusqu'à ce jour qu'ils aient existé. »

Tu vois le truc ? C'est le genre de famille où on te cache que tes parents sont morts en héros torturés.

Ca peut donc bien être le genre de famille qui dit à une veuve mère de trois enfants en bas âge qu'elle doit aller passer le reste de sa vie à s'occuper de sa vieille mère. Et j'ai bien écrit « elle doit », pas « elle pourrait éventuellement ».

Oui, je suis un peu véner en écrivant ça. On peut pas refaire l'histoire, mais je crois que d'avoir appris ça, plus d'autres bricoles, a sans doute aussi implanté en moi la conviction que je ferai jamais pareil (ne pas vivre ma vie parce que je dois m’occuper de ma mère). Mais bon, revenons à nos moutons, c'est à dire à maman et à la famille Trolley.

Attention hein, je dis pas qu'elle ne s'est pas plue, qu'elle n'a pas été heureuse avenue de la Bourdonnais. Pouvoir nous offrir, à nous, ses enfants, un tel environnement a très probablement très largement contribué à lui faire accepter la chose (oui, deux fois « très » à courte distance dans la même phrase). Mais même ça, j'en suis pas sûr. L’oncle Henri veillait très bien sur nous aussi.

Bon, j'arrive pas à revenir à nos moutons en fait. Alors je vais me forcer à revoir maman.

Hop, c'est fait.

Je l'ai vue marchant près de moi quand nous allions à la messe le dimanche à St Pierre du Gros Caillou (quel nom ridicule). Dans mon petit flash, on est avenue Bosquet et Tristan fait une de ses bonnes blagues. On a, je sais pas moi, entre 12-13 ans pour moi et 15-16 ans pour Tristan. On est donc tous avenue Bosquet, maman, Pascale Tristan et moi et un moment sur le trottoir, y a une merde de chien. C'est bizarre de dire "merde de chien" parce que c'est un pléonasme quand on est à Paris, non ? Au milieu du trottoir, ça peut que venir d'un chien non ? Tu vois un mec faire sa crotte là, au milieu ? Enfin bon bref, Tristan voit cette crotte, s'arrête, se penche bien au dessus et dis « Ben Thibaud, qu'est-ce que tu fais là ». Et maman rigole, juste là, sur ma gauche.

C'est vrai qu'elle rigolait souvent quand même. C'est cool ça une mère qui rigole facilement quand on y pense. Peut-être que plus la vie te donne des coups, plus tu lui ris à la gueule, bien lui montrer que c'est pas elle qui décide en fait.

J'ai du mal à faire remontrer mes souvenirs très loin, et ces deux dernières années, au cours desquelles elle a progressivement diminué, sortant de moins en moins souvent, de moins en moins longtemps, ces deux dernières années, donc, ont imprégné en moi un souvenir de maman calme, assise sur son fauteuil rouge. Ou sur le canapé rouge, à droite.

Putain !

Oh putain !

Je réalise seulement maintenant !

Le canapé rouge ! La place à droite !

Mais bordel ! C'était là que se mettait bonne-maman !

Remarque, je mets des points d'exclamation partout, mais ça marche aussi en le disant sans s'énerver. Maman a hérité de ce canapé à la mort de bonne-maman, et compte-tenu de sa position dans la pièce, rue du Rocher, elle s'assaillait à la même place que bonne-maman.

Bon, dis comme ça, on voit que ça méritait pas toutes ces fioritures autours, ça veut rien dire.

En tout cas, si j'hérite de ce canapé, je vire la place de droite, pour être sûr de pas m'y mettre : deux personnes que je connais qui s'y sont assises sont mortes par la suite.

J'espère que t'as noté que sur un canapé, virer la « place de droite », c'est con. Y a toujours une place de droite sur un canapé.


[10/02/2013]



En parlant de “droite”, ben, immanquablement, ça me fait penser à la politique. Droite, gauche, tout ça.

En décrivant très sommairement le côté « famille bourgeoise » des Trolley, t'imagines bien qu'y avait pas beaucoup de gens de gauche. Là, je parle de la fratrie principale, c'est à dire maman et ses frères et sœurs. Et bonne-maman. Les tontons étaient tous banquiers ou dans les affaires je crois. Je sais pas trop ce que faisaient Olivier et Xavier, ils habitaient pas Paris, on les voyait moins souvent. Oncle Henri était banquier, oncle Yves était banquier. En fait, banquier, ça veut tout dire et ça veut rien dire. Ce que j'entends par là, c'est que je crois qu'ils gagnaient bien leur vie. Encore une fois, je ne crois pas qu'aucun ait été riche, mais je crois qu'ils étaient pour la plupart à l'aise. Certains très probablement moins à l'aise que d'autres. Par exemple, je n'ai pas souvenir de tante Jeanne-Marie vivant dans l'opulence à Thionville.

En même temps, j'ai de toute façon du mal à associer Thionville et opulence. Pas toi ? Enfin bon, j'me comprends : les Trolley, ça vote à droite.

Grâce à ça d'ailleurs, le virage communiste de Tristan en fin d'adolescence a été pour moi un délice. Comment qu’il débatait sans se laisser faire, avec les tontons qui s’énervaient. Moi, j’écoutais ça en trouvant rigolo et très couillon de s’énerver pour si peu. Je me demande à quel point Tristan n’en rajoutait pas dans la provoc. Sans déconner, aller vendre l’Huma dans le quartier ! Rue Clerc ! Dans le 7e ! J’ai jamais parlé avec maman de ça, pour savoir ce qu’elle en avait vraiment pensé, avec le recul.

Les oncles, tantes, et autres connaissances de la famille venaient très souvent avenue de la Bourdonnais voir bonne-maman. Je parle ici non seulement des frères et sœurs habitant Paris, mais aussi des cousins, des cousines, des copains, des copines de bonne-maman, dans la famille côté Bigle par exemple. Et ça fait du monde tout ça. Je me suis d'ailleurs déjà plusieurs fois demandé si maman, ça la faisait pas un peu chier tout ça. Je pense qu'elle était contente de voir tous ces gens, mais en même temps, ben quelque part, y avait tout le temps quelqu'un de fourré chez nous. Et la mère, comme femme de devoir, elle s'en occupait. À peine rentrée du boulot, y avait quasiment tout le temps au moins une personne qui était venu causer avec bonne-maman. Ils savaient tous où étaient les apéros et ils savaient tous se servir tout seul. Et ils s'étaient déjà servis tout seul quand maman arrivait d'ailleurs. Mais quand même, elle restait aussi avec eux, tenir compagnie, tout ça.

Je n'ai pas de souvenir précis de maman m'aidant à faire mes devoirs par exemple. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne le faisait pas, juste que j'm'en souviens pas. Mais ce que je crois, c'est qu'elle ne pouvait pas s'occuper de nous sur ce plan parce qu'elle s'occupait des autres. Et ensuite, ben c'était l'heure du repas, et tout et tout.

Donc les Trolley, c'est plutôt à droite. Pour maman, je le vois vraiment comme une tradition familiale, ancestrale. En fait, c'est surtout du bourrage de crâne. Pas spécifique aux Trolleys d'ailleurs, loin s'en faut (putain, t'as lu ça ? “Loin s'en faut”. Non mais sans déconner, c'est un truc que tu dis tout le temps toi ? Bien sûr que non. Ça fait un peu, heu, ch'sais pas, heu, pédant. Bon, je l'garde quand même). Quand on est élevée dans le bourrage de crâne que la gauche, c'est les soviets, la déchéance morale, la ruine du pays et le dépeçage des bourgeois sur la place publique, ben, forcément, à un moment, ça fait peur. Je suis absolument convaincu que maman votait à droite par tradition familiale. Peut-être tout comme moi je vote à gauche pour faire chier la tradition familiale que j'ai fini par juger responsable de l'emprisonnement de maman. Oh putain, je suis un peu dur avec la famille là quand même. Mais bon. En même temps, hein, ceux dont je parle sont tous morts à c't'heure, alors on peut s'laisser aller non ?

Ca me fait penser à une anecdote super marrante de maman dans ses derniers mois. En fait, c'est Sophie qui me l'a rappelée. Sophie, si tu lis ce texte et que tu la connais pas, c'est ma femme. Des fois, je la menace de la mettre dans un livre que j'écrirais plus tard, mais ça lui fait pas peur.

Enfin bref, l'anecdote est la suivante. Déjà, je plante le décor. Après le diagnostic de son K de l'amygdale (juillet 2011), elle se tape ses séances de radiothérapie comme une grande, organise ses taxis toute seule et tout et tout. En janvier 2012, le scanner est nickel, et les deux cliniciens (ORL et cancérologue) n'en reviennent pas que tout a disparu, tant cliniquement que radiologiquement. On était tous super contents, mais voilà. Tu peux pas retirer à la Faucheuse les proies qu'elle avait comptées d'avance. Tu peux juste reculer un peu la date de la récolte. Donc à peine sortie de la consultation d'ORL, hop, elle te me nous fait une occlusion. Avec hospitalisation en urgence, résection de 50 cm de grêle, réa chirurgicale et tout le bataclan. Elle a fait ça sans doute parce que la radiothérapie l'avait crevée, l'empêchait de bouffer et reprendre du poids, tout ça. En tout cas, on la réopère rapidement pour rétablir la continuité comme on dit, et la voilà en centre de soins à Clamart. Pas en grande forme, mais reprenant peu à peu du poil de la bête.

Et pendant son séjour à Clamart, ben y a les élections présidentielles. Le duel Hollande-Sarko. Moi, je trouvais qu'il fallait pas l'emmener voter parce que dans son état, elle allait encore mal voter. Mais bon, Sophie et moi, on va la chercher à la clinique et on l'emmène voter près de chez elle, dans je ne sais plus quelle école. On profite lâchement de sa faiblesse évidente pour doubler tout le monde (au passage, avec sa canne, son pantalon marron, sa petite taille, ses cheveux blancs, ben vue de dos, elle était le prortait craché de Bilbo quand il s'en va vers l'Ouest avec Gandalf, Elrond et Galadriel dans le film "Le Seigneur des Anneaux"). La voilà dans l'isoloir. J'aurai bien aimé glisser deux bulletins Hollande mais Sophie veillait au grain. Et voilà maman qui reste quelques secondes dans l'isoloir, un peu longtemps à mon goût, mais bon, je ne m'inquiète pas. Elle sort de l'isoloir, et va voter.

Là, tu te demandes peut-être pourquoi j'ai annoncé une anecdote super marrante, parce qu'à part une ou deux vannes de ma part dans le paragraphe qui précède, y a rien de très drôle. Alors voilà. Elle a dit en se marrant à Sophie que, miro comme elle était, elle n'était pas sûre d'avoir mis le bon bulletin dans l'enveloppe ! Et elle avait soigneusement jeté l'autre bulletin pour qu'on puisse pas deviner pour qui elle avait voté. Quand Sophie m'a rappelé cet épisode, j'ai revu maman avec son rire et son sourire illuminant son visage et me suis souvenu de ce passage, et comment on a continué à rigoler dans la voiture.

Surtout commence pas à dire des conneries genre « ah lala comme elle était courageuse de se moquer ainsi d'elle même ». C'est pas du courage, c'est juste comme ça qu'elle était. Elle se moquait souvent d'elle même. Et c'est comme ça qu'il faut être. Si on se moque pas de soi, de qui se moque t'on ?

Et hop, un autre souvenir. Sur ses blagues et ses jeux de mots. Ceux qui suivent, je ne sais pas du tout si c'est elle qui les a inventés ou si elle les avait entendus puis réutilisés. Mais en voilà deux dont je me souviens bien, et qui datent de très longtemps. Je dirai que ça a dans les 40 ans. C'était pour répondre à nos (mes ?) jérémiades qu'elle devait juger pénibles:

« - Maman, je m'sens pas bien
- Et bien fais toi sentir par quelqu'un d'autre »

« - Maman, j'suis pas dans mon assiette
   - Et bien change d'assiette »

Ca m'fait toujours trop marrer.

Revenons un instant sur le courage.

Avant de revenir sur le courage, je dois reconnaître que ce texte que j'écris est un peu bordélique et part dans tous les sens. Mais ça dérange vraiment quelqu'un ici ?

Non ?

Bon, alors je continue. Le courage donc.

Maman est morte mardi dernier. Techniquement, c'est après Noël et avant mon départ pour les US. Et je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a aussi essayé de calculer la date approximative de son dernier voyage, comme on dit des fois. Un dernier Noël en famille. Y avait tous les proches et je l'ai vue très contente. Très fatiguée, mais contente que tout le monde soit réuni autours d'elle tu vois, ses trois enfants et ses quatre petits enfants. C'était important pour nous et quelque part, elle le savait. Et puis mon départ aux US avec Sophie. Elle a pas voulu me mettre dans la gêne et me faire revenir en aller-retour pour l'enterrer. Alors elle a tenu jusqu'à Noël, alors qu'elle en avait déjà bien marre, mais vraiment marre. Et après Noël, hop, on s'laisse aller. Je vais même faire plus dans le détail. Entre Noël fin décembre et mon départ fin février, y avait quand même trois événements d'importance : les anniversaires de ses enfants. Après tout ça, elle s'est dit « ok, c'est bon, la route est libre, on y va, salut les copains ! ».

Et puis elle est partie.

Ca c'est la preuve ultime qu'elle était d'gauche. Quand t'es de droite, tu t'en fous des autres.

Non ?


[11/02/2013]



Elle a été enterrée aujourd'hui.

Au milieu de mes pensées, écrits, et autres idées commencées je ne sais plus quand. Il y a trois, quatre jours je crois.

Il y a des anecdotes de ce jour d’enterrement bien sûr. Des choses rigolotes essentiellement. C’est celles que je retiens plus facilement en tout cas. Je fais vite parce que je veux surtout parler de maman. Quoi que. Je sais pas si je veux faire vite sur cette journée ou pas. Bon, on verra bien où mes idées m'emmènent.

Anecdote, donc. Il y a eu Quentin, un ami de Sylvain qui est venu en son nom et en celui de Séverine. J'avais oublié de prévenir Pascale de ça, et quand il a débarqué au funérarium avec une rose, elle s'est demandée qui c'était.

Bon.

Raconté comme ça, c'est pas très drôle en fait. Mais quand on est un peu à fleur de peau, ce genre de chose fait rigoler.

Y a aussi eu moi, un peu plus distrait que d'habitude. Je pars le matin prendre la bagnole de location, puis je vais faire les courses pour le soir et récupérer Sophie à son boulot. Je me rends compte alors de deux choses. Petit un (1) j'ai oublié ma veste de costard (oui, j'ai acheté un costume pour l'occasion), j'ai juste ma chemise et mon manteau et petit deux (2) j'ai oublié mon sac à dos à l'agence de location de voitures. Avec ma cravate dedans. Parce que figures-toi que j'ai aussi décidé de mettre la cravate pour honorer la mère. Je voulais rester comme je suis tout le temps, jean, baskets et T-Shirt, tu vois, mais le front des gonzesses - Sophie et Pascale - ont trouvé que merde quand même bordel. Elles l'ont pas dit comme ça parce que les filles, ça dit pas des gros mots, mais c'est ce que j'ai entendu avec une intense clarté. Alors samedi fin d'après midi, je suis allé acheter un costume, une chemise et une cravate (mon costard d'il y a 11 ans et mes 2-3 chemises sont dans les cartons en partance pour New York).

Retour sur le funérarium (je crois que finalement, je vais passer du temps sur cette journée d'enterrement). Moss, mon copain d'enfance avec qui j'ai fait la majeure partie des quatre cents coups de jeunesse, est aussi allé au funérarium. Il m'avait dit qu'il irait. Il me l'avait dit. Mais j'ai oublié. Et nous, après notre dernier au revoir à maman, ben on est parti. Moss est arrivé je sais pas moi, une demi heure ou trois quart d'heures après nous. Et il s'est retrouvé tout seul comme un con. Il m'a envoyé un SMS hyper drôle : « Vous foutez quoi ? Je suis seul pour l'apéro ! ». J'étais en train de déjeuner avec tout le monde quand j'ai reçu son coup de fil et son SMS en même temps. Et c'est pas tout. Pendant qu'on se parle, le serveur prend la commande. Moss entend ça et il se met à hurler « mais enfin, moi j'ai mangé un sandwich vite fait et toi t'es au resto ! ». On a bien rigolé. Je lui en suis reconnaissant. De toute façon c'est Moss. Lui aussi faudra que je le mette dans un livre un jour.

Re-retour sur le funérarium. Putain, qu'est-ce que c'est nul comme nom.

Ma première impression a été une petite déception. Le cercueil était très bien, le tissu intérieur aussi, tout ça, on avait bien choisi avec Pascale et Tristan : simple et classe. Comme la mère. Mais pas de fleurs. Aucune fleur visible, à part une rose blanche posée sur le cercueil (cf. épisode ci-dessus avec Quentin. Tu vois, les indices se croisent, c'est la preuve que j'invente pas). Je savais que des fleurs avaient été envoyées ici, par Monique (la mère de Sophie) et Aline (sa sœur. À Sophie, pas à Monique. Mais heu, suis un peu bon sang !), mais aussi par Sophie et Séverine et d'autres gens. J'ai appris plus tard, en demandant, qu'elles étaient dans une autre pièce. J'ai pas demandé pourquoi elles n'avaient pas été installées dans la chambre funéraire, je ne le saurai donc pas.

Ma seconde impression a été une autre déception.

Si t'as déjà pratiqué la chose (et là, pour un fois, je parle pas cul, c'est pas le moment), tu sais qu'il y a le cercueil 1/3 ouvert, pour qu'on voit la tête au défunt (et je sais très bien qu'on dit pas « la tête au défunt »). Donc, en l'occurrence, la tête de maman. Et je l'ai pas reconnue. Putain ! Je l'ai pas reconnue ! Son visage était beaucoup plus fin que d'habitude et je lui ai trouvé un côté austère, sévère, qui ne lui allait pas, mais alors pas du tout, du tout. On aurait dit une Trolley de Prévaux pour le coup ! Putain ça fait chier, la mort. Ça te change les gens d'une façon… C'est pas cool. Après m'en être confié à Sophie,  elle m'a dit d'imaginer ce visage avec le sourire habituel, ou le souvenir de son sourire et ça a bien marché. Je me suis senti mieux et plus en paix avec ça. Elle est forte, Sophie quand même. Tiens, j'ai dit que je la mettrai dans un livre, ben en fait je la mettrai dans deux livres.

Nous sommes restés quelques instants, Sophie et moi, seuls avec maman. J'espère que Pascale et Tristan ont pas été vexés. Je crois pas. Sophie a mis une rose éternelle, blanche, entre les mains de maman. J'ai pleuré. Oui. Même les hommes pleurent. (Phrase précédente à lire à voix haute. Prendre un air sérieux, une voix grave et lire lentement avec des trémolos et de la sincérité). Tiens je me souviens maintenant, alors que j'écris, avoir eu une pensée fugace sur ces films à la con, où un gamin, typiquement, perd un parent, ou une peluche, son slip ou je ne sais quoi, moi, mais un truc auquel il tenait beaucoup. Et pis y a le gentil du film qui s'accroupit, pointe son doigt sur le cœur du gamin, ou sur sa tête, selon le degré de bons sentiments et d'intelligence du réalisateur, et lui dit un truc du genre « Il (elle) existera pour toujours, là ». Mais il s'en branle le gamin que ça existera toujours  ! Il veut que ça existe toujours ici ! Maintenant ! Pour d'la vrai !

Ensuite, j'y suis retourné avec juste Pascale et Tristan et j'ai encore pleuré un peu. Oui. Même les hommes pleurent encore un peu.

Puis on a décidé de partir sans attendre la fermeture officielle du cercueil (la mise ne bière que ça s'appelle. Non mais franchement. Mise en bière. On se croirait dans une brasserie pendant les Happy Hours merde !), parce que ça se ferait une heure plus tard et qu'on voulait pas attendre une plombe ici. C'était une erreur puisque du coup, j'ai oublié Moss, mais au moins, ça lui permettra de raconter cette aventure à sa descendance.

Je sais pas si tu veux que je continue à raconter cette journée, ou si tu préfères que je continue avec les souvenirs.

Tu préfères quoi ?

Tu sais pas ? Ben dis donc. Tu s'rais pas un peu useless dans ton genre ?

Alors je décide pour toi : un mélange des deux. Je vais coucher ici les souvenirs que d'autres ont raconté au cour de la journée.

Ces quelques souvenirs dits par d'autres résument la partie rigolote et rebelle de maman. Oui oui, j’ai bien écrit rebelle. Absolument. Tu veux une preuve de son côté rebelle ? Et ben en voilà une, et sévère. Quand elle était jeune, dans une de ces écoles où ses parents la casaient faute de savoir quoi faire d'elle, elle était membre actif du club des 1/g.

. . .

1/g.

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T'as pigé ? Tiens je te laisse 3 secondes, mais lis le normalement.

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T'as pigé ? « Un sur g ». « Insurgé » !

Rebelle, avec de l'esprit en plus.

Bon, je reviens sur les souvenirs des autres.

Tristan a sans doute été le dernier à entendre une blague de sa part. Ça remonte à trois-quatre semaines. Je te la fais en résumé. En fait non, je recopie ce que Tristan m'a raconté :
« Je regardais avec elle et Catherine "questions pour un champion". La question était de savoir comment s'appelaient les habitants de je ne sais plus quelle ville. Je lui ai alors demandé "et les habitants de Créteil, comment s'appellent-ils?". Et elle, du tac au tac : "Les Crétins, comme toi!" »

L'ajout du « comme toi » fait partie de ses petites touches qu'elle ajoutait de temps en temps.

Tiens, t'en veux une autre ? En voilà une autre (toujours raconté par Tristan) :
« Peu de temps avant, nous visionnions aux infos un match de foot qui avait dégénéré en bagarre. Et j'ai eu droit à son fameux "On a qu'à leur donner un ballon à chacun, ils ne se disputeront pas" ! »

Moss a raconté deux souvenirs. Là encore, je lui en suis très, très reconnaissant. Il a d'ailleurs publiquement pris la parole pendant la petite bouffe qu'on a fait rue du Rocher. C'est le seul à l'avoir fait. J'aurai du pousser les autres à raconter aussi un souvenir.

Il a parlé de sa découverte du Rosbif, avec purée de pomme de terre dans laquelle on fait un trou pour mettre le jus dedans. Bon, ça, c'est ni rôle ni rebelle. Il a surtout raconté qu'on avait un jour, comment dire, heu, oui, comment écrire une telle chose ? C'était avenue de la Bourdonnais. Nous avions, lui et moi, légèrement, hmm, postilloné par la fenêtre.

En concentrant les postillons, si tu vois c'que j'veux dire.

Bon, ok, appelons un chat un chat et un crachat un crachat : on avait craché par la fenêtre. Et autant bonne maman n'avait rien vu (ouarf. Tu te rappelles qu'elle était aveugle ?), autant maman, d'après Steph (parce que moi je m'en souviens pas), au lieu de nous engueuler, s'était marrée. T'imagines le truc ? T'as ton gamin qui crache par la fenêtre (oui : sur des passants), et l'autorité parentale, au lieu de mettre une mandale bien méritée, elle se marre ! Je suis sûr que ça a du lui rappeler de bons souvenirs ! Peut-être qu'elle crachouillait sur la tête des curés ou des bonnes sœurs de ses écoles ?

Les dames de l'association de la paroisse de St Augustin, avec qui maman s'occupait des SDF du 8e (si t'es pas du 8e, t'es gentil, tu vas ailleurs. Y avait une façon de dire que t'étais un SDF du 8e, mais je m'en souviens plus. Moi, j'ai toujours trouvé bizarre d'être sans domicile, mais du 8e. C'est tout le 8e ta maison ou quoi ?), les dames de cette association, donc, m'ont juste dit que maman racontait toujours des blagues, faisait sans arrêt des jeux de mots, se moquait gentiment des uns et des autres, et, bref, les faisait rire. Les faisait vraiment rire. Elles avaient toutes (y en avait cinq ou six) un grand sourire pendant qu'une d'entre elles me racontait ça, comme si chacune se rappelait, là, juste maintenant, un épisode précis, un mot, une attitude rigolote de maman, et ça m'a super ému. J'ai failli chialer (encore), mais j'allais pas pleurer devant ces dames quand même, faut pas déconner.

Enfin, un dernier pour la route : Isabelle, une cousine, m'a raconté ses vacances avec nous à Hermanville, en Normandie, où on a passé pas mal de vacances d'été quand j'avais, je sais pas, 5-10 ans je dirai. Elle avait 11-12 ans, et c'est sous la garde de maman qu'elle a pris son premier verre de porto, et  (en cachette d'elle j’espère !) qu'elle a fumé ses premières clopes, mentholées. J'ose pas imaginer le coup de fil qu'Yves (oncle Yves, le père d'Isabelle, frère de maman) a certainement passé à maman !

Voilà ces quelques souvenirs racontés par d'autres.

Ah tiens j'y pense ! Aude, celle dont je parlais un peu plus tôt, qui a découvert que ses parents n'étaient pas ses parents, et a écrit un livre sur ce sujet. Et ben elle était là ! Et elle m'a dit tout l'immense bien qu'elle pensait de maman, et j'étais content de la voir si contente de me dire tout le bien qu'elle pensait d'elle.

En gros, j’aime bien que les gens aient bien aimé maman.

La cérémonie à l'église a été bien, même si on s'est grave caillé les miches (le curé a dit qu'il y avait une panne de chauffage). On avait demandé une bénédiction, y a donc eu bénédiction, champs religieux, prières et tout le tintouin. Stéphanie a lu des textes au début, avec Marie à ses côtés. On avait bien dit qu'on voulait pas, nous, les enfants, lire des trucs, mais v'la l'cur'ton qui à un moment fait signe qu'on va lire les je sais plus quoi. Ah si, c'est les prières pour les autres aussi tu vois, genre pour que tout le monde soit content et en bonne santé.

. . .

Je laisse un blanc parce qu'on demande ça alors qu'on enterre quelqu'un quand même. Ironique non ?

Enfin bon, je fais genre « ah bah ça va pas être possible » quand le curé me regarde, mais quand il passe à Pascale je me dis qu'elle y arrivera jamais. Je pensais que ce serait Tristan qui tiendrait le moins le coup, mais je crois que Pascale déguste pas mal. En tout cas, je me suis dit qu'il n'était pas possible de la faire montrer sur scène (enfin, tu vois c'que j'veux dire). Alors j'y suis allé.


[12/02/2013]



J'y suis allé en me disant que bon, ben faut y aller quoi. Bien sûr, j'ai pas réussi à avoir le visage fermé et recueilli, l’air grave et consterné par cette disparition. J'ai souri d'un air un peu gêné, tu vois, le gars qui aimerait bien qu'on fasse l'impasse sur ce truc. Puis j'ai décidé qu'il était temps de rire un peu. J'avais chialé quand le cercueil est arrivé et qu'ils l'ont installé. « Putain, y a maman là'n'dans » et autres « ah bon, alors donc, c'est sûr ? Elle est vraiment morte » ?

(attends. Une seconde, bordel, je chiale encore en écrivant ça)

J'avais encore chialé une ou deux autres fois, de brefs sanglots. Tout en faisant le fier, me tournant à droite à gauche pour faire un petit signe à un visage familier, tu vois genre « Ah t'es venu toi ? C'est gentil. ».

Me voilà donc derrière le pupitre. Y a un micro flexible. Je commence ma première vanne en me tapotant légèrement le torse avec le poing, genre le chanteur pro qui va faire sa prestation. Ensuite je pense à deux vannes que j'ai pas faites. J’aurai peut-être du les faire quand même, je sais pas. J'ai pas osé. Avec un jour de recul, je pense que d'une part, maman, ça l'aurait fait éclaté de rire qu'on lui raconte un truc comme ça et d'autre part, ben les gens préfèrent rire que pleurer en règle générale. Donc j'aurai du le faire. En plus, ça a coûté un max de pognon ce truc. 380 euros. On peut bien faire le couillon pour ce prix quand même. Si tu veux que je fasse ces vannes à ton enterrement, si je suis invité, dis le moi.

Donc première vanne qui m’est venue à l’esprit, adaptée d'un gag connu (Laurent Gerra quand il imite Johnny). Je me penche rapidement sur le pupitre, comme pour mieux voir le texte, et mon front cogne le micro. Ca s’entend partout et on rigole. Ah ah ah. Deuxième vanne, je prends le micro, l'entoure bien de mes mains pour augmenter l'écho et je fais « essai micro essai micro un deux un un deux deux vous m'entendez bien ? ».

Y a une autre vanne que j'ai vraiment failli faire. Le texte à lire était sur un journal, avec des pointillés pour mettre le prénom du mort. Et là, y avait déjà un nom écrit. C'était Suzanne. Suzanne. Maman, c'est Chantal. Le cureton m'avait refilé un vieux journal réutilisé pour l'occasion ! Putain, 380 euros et on a droit à un vieux journal utilisé avec une autre morte dis donc. J'ai pensé à me tourner vers lui en disant « heu…mon père….mon père… je crois qu'on s'est gouré d'enterrement. »

Enfin donc, finalement, à part le tapotage sur le torse, j'ai pas fait de vannes. Mais j'ai regardé les gens. Et j'aurai pas du parce que qui c'est-y que je vois au milieu de tout ça ? Je vous le donne en mille. Moss ! Moss qui me fait notre vieille, très ancienne grimace de quand l'un de nous devait être sérieux, genre à l’école quand tu passes au tableau. La bouche de lapin, tu sais, quand tu rentres tes joues à l'intérieur de ta bouche. Putain l'enflure ! J'ai failli vraiment éclater de rire pour le coup ! Heureusement, la lecture de ces trucs, ça se passe en deux temps : tu lis le machin, puis tout le monde chante la prière pendant 5-10 secondes. J'ai pu me reprendre pendant ce temps.

Donc je lis, ça se passe bien, puis je retourne à ma place. La cérémonie touche à sa fin. Il reste à bénir le cercueil. Tout le monde fait la queue pour prendre le bitoniot avec l'eau bénite et faire le signe de croix sur le cercueil. Le curé prévient que si on ne partage pas notre foi, on peut juste donner une tape amicale au cercueil. J’ai fait le truc de l'eau même si je ne partage plus cette foi. L'habitude. La force de l'habitude. Le côté que « ça lui ferait plaisir, à maman ». En parlant de cet épisode me revient le souvenir du moment où j'ai décidé de lui dire que j'avais perdu la foi, que je ne croyais plus en Dieu. Je trouvais que je devais lui dire, pour pas faire semblant, ce qui serait une insulte à sa propre foi à elle. Donc je lui dis et sa réaction a été la tristesse. Elle a été désolée pour moi, quelque chose allait me manquer. Ce moment a été un peu, je ne sais comment dire. J'allais écrire « tendu » mais non, c'était pas tendu. Ce moment a été disons, faut de mieux pour le moment, fort. Voilà. Il a été fort. Elle était déjà rue du Rocher, et je crois que je revenais de la Réunion. Ca faisait plusieurs années que je ne croyais plus en Dieu, mais je revenais habiter en métropole, j'allais la voir plus souvent, tout ça, fallait que je lui dise. Moi j'étais stressé de lui dire ça, mais je crois que elle, elle  a encaissé un choc plus important que je ne l'imaginais. Et elle a fait comme avec ses autres douleurs : elle l'a absorbée pour digestion ultérieure.

Je ne me souviens pas qu'on en ait reparlé par la suite.

Donc bon. Nous voilà sortis de l'église. Je suis juste derrière le cercueil. Sophie, j'ai l'impression, a hésité à venir à mes côtés quand cette espèce de procession s'est mise en route. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu'il aurait fallu qu'on soit juste Pascale Tristan et moi derrière le cercueil. Mais je la voulais avec moi maintenant. Je suis très doué pour m'isoler quand je veux être seul, mais là, je voulais qu'elle soit avec moi alors je lui ai fait signe et elle m'a rejoint et ça m'a fait du bien quand j'ai re-re-re-re pleuré un bon coup.

Nous sommes ensuite allé bien évidement au cimetière pour l'inhumation dans le caveau Arguillère. Purée, c'est profond un caveau dis donc. Y a d'la place dans le caveau Arguillère. On nous avait dit qu'il restait trois places, mais il en reste bien plus. Tu sais comment ça marche ces trucs ? Je t'essplique parce que j'avais pas pigé et Sophie a demandé aux gars. C'est une sorte de cheminée à l'envers. T'as un grand trou bétonné. Au fur et à mesure que les gens de la famille meurent, on place le cercueil au fond du caveau et on ferme avec une plaque de béton. Les morts sont donc, quelque part, empilés les uns sur les autres. J'ai même cru piger que pour gagner de la place, on peut en fait mettre deux cercueils tête bêche avant de commencer le niveau suivant. En tout cas, on nous avait annoncé qu'il restait plus que 3 places, y en a beaucoup plus si on en met deux par niveau. Bon à savoir.

Mais la profondeur donne aussi un sentiment un peu bizarre : quand on fait la procession pour lancer une fleur sur le cercueil, ben il est très loin le cercueil dis donc ! Ca donne une impression de chantier pas fini. Enfin bon. C’était la fin de la journée, j’en avais un peu marre.

Une fois que les ouvriers ont bien tout refermé et mis les fleurs, j'ai eu deux sentiments qui ont cohabités. Content qu'il y ait beaucoup de fleurs, c'était cool. Les gens ont envoyé des fleurs, ont pensé à elle, ont pensé à nous. Et j'ai eu une nième poussée de tristesse, parce que là, pour le coup, face à la pierre tombale scellée, ben j'ai plus le choix.

Pas d'échappatoire.

Pas de blagues.

Maman est morte mardi dernier.

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