Il y a deux ans et demi, une expérience vécue au cours d'un vol long courrier m'a permis d'expliquer aux enfants, dans ce blog, la signification du 28C.
Il se trouve que récemment, la société à laquelle je fais l'honneur de pouvoir m'employer m'a proposé d'aller au Japon - à Tokyo plus précisément - pour la "Conférence Développeurs". J'ai bien entendu accepté, et le billet d'avion a été rapidement réservé.
La politique de Cost Killing - comme on dit quand on veut se faire passer pour un manager qu'y s'y connaît(1) mais en pratique, ça veut juste dire "politique de la radinerie", ou "Short hands, long pockets" comme disent les ricains - cette politique, donc, les conduit à me prendre un billet en classe pauvre, comme toujours. Bien entendu, je m'empresse de prendre un "Siège Plus", à 70 €. N'ayant pas la place 28C, je pensais, à ce prix, passer un vol à peu près acceptable.
Ça n'y a hélas rien fait. À se demander si ma boîte n'agît pas en sous main pour pourrir mes voyages en Siège Plus, histoire que je renonce à en réserver à l'avenir, leur permettant d'économiser quelques dizaines d'euros.
Je peux donc maintenant, après cette brève introduction qui plante le décor, entrer dans le vif du sujet, tel que le titre l'expose : j'affirme que la survie de l'espèce humaine demande un grand effort de concentration, de calme, de méditation, de retour sur soi, de réflexion et de prise d'alcool et de drogues en grande quantités.
Comment en suis-je arrivé à cette conclusion, tel est le récit d'aujourd'hui.
À deux sièges à ma droite, figurez-vous qu'un bambin de deux ans a également fait le voyage vers Tokyo. Et quelque chose que personne n'a réussi à identifier clairement, quelque chose, donc, ne lui a pas plu pendant le vol. Mon histoire aurait pu s'arrêter là si ce quelque chose avait été bref. Mais voilà :
(1) Ça a duré tout le voyage
(2) Le gamin a dormi seulement une petite heure
Si vous additionnez (1) et (2) et que vous faîtes marcher vos neurones, vous en tirerez la bonne conclusion : (3) il a hurlé pendant tout le voyage.
Tout.
Le.
Voyage.
Je le refais un coup, au cas où vous n’auriez pas bien pigé : le gamin a hurlé pendant 11 heures à un mètre de moi.
Les boules Quiès d'Air France n'y ont rien fait, parce que c'est le genre de bruit qui franchit tous les obstacles. Rien ne peut l'arrêter. Rien.
Du coup, à un moment, j'ai eu très brièvement un flash dont je ne suis pas spécialement fier. Une vision de moi-même, lui carrant toutes les boules Quiès de tous les passagers dans la tronche.
C'est horrible comme pensée, hein ? D'autant plus horrible que ce flash inélégant allait jusqu'à me faire dire des choses telles que "Alors, on fait moins l'malin maintenant, hein ? On fait moins l'malin !".
J'ai bien entendu chassé cette idée aussi vite qu'elle m'était venue, et j'ai réussi à me calmer(2).
Et puisqu'on en est aux confidences, sachez qu'entre ce premier flash et la réussite du calmage(3), d'autres idées d'actions directes ou indirectes sur cet enfant m'ont envahi. Elles étaient toutes absolument géniales, mais instinctivement, je savais qu'elles étaient potentiellement sources de légers problèmes judiciaires.
Pourquoi "potentiellement" et "légers" ? Parce qu'à voir la tronche des gens autours, j'étais sûr de pouvoir compter sur un soutien massif pour nier mon implication dans quoi que ce soit de fâcheux qui serait arrivé à cet enfant.
Il ne voyageait pas seul, mais c'était tout comme. Sa mère arrivait à afficher dans la même expression une face épuisée et soumise (ayant accepté son sort d'esclave nourricière) et un aspect fier, défiant quiconque de s'en prendre à la chair de sa chair. Quand à son père, je ne sais pas : ils voyageaient manifestement seuls tous les deux. Il ne fait aucun doute que le père les avait abandonnés. Le lecteur attentif aura noté que je n’ai pas utilisé "lâchement abandonnés", le premier venant souvent avec le second. Mais ici, dans le cas présent, cet homme a juste pris ses responsabilités, comme on l'attend d'un homme, d'un mari, d'un père.
Bref.
J'ai soudain réalisé que, quand on y pense, des emmerdeurs, ben y en a partout. Y en pas forcément beaucoup - ce qui est cool - mais on en trouve partout. On connait tous au moins un emmerdeur au bureau, dans le métro, dans les repas de famille, …
Et mon idée, c'est que s'ils existent, ils doivent bien servir à quelque chose. Vous voyez le truc : une sorte d'équilibre cosmique réclame leur présence. Tout comme le monde animal, qui tolère l'existence des poissons, des ornithorynques, des araignées et des extrémistes religieux. Rompre cet équilibre peut conduire à la fin de toute l'espèce humaine, telle est ma conviction.
Je ne sais pas, moi, à quoi ils servent. Je n'ai aucune idée du destin qui leur est réservé quand la Faucheuse vient les prendre. Alors, de quel droit irai-je en finir ne serait-ce qu'un seul ?
Et d'un coup, quand j'ai pris conscience de ça, ben c'est allé beaucoup mieux. J'ai pas dormi - il a hurlé - mais j'étais en paix avec moi-même, œuvrant pour la survie de l'espèce. D'autant que manifestement j'avais à faire à du lourd. De l'emmerdeur qui commence tôt. De l'emmerdeur qui a un don. Peut-être même ai-je croisé la route de l'Emmerdeur, avec grand "e", musique céleste et respect. Peut-être descend-t-il d'une famille qui a commencé à emmerder le monde il y a bien longtemps, produisant à chaque génération un emmerdeur de plus grande capacité, pour arriver, au bout du compte, à l'évolution ultime de l'emmerdeur ?
Qui suis-je ?
Oui, qui suis-je, moi, pour mettre fin à des siècles et des siècles d'évolution ?
Oh non. Non non non. Pas moi.
Si l'espèce en veut, si l'espèce en produit, c'est que l'espèce en a besoin. Laissons-les tranquilles. Un jour, croyez moi, un jour, je vous le dis, on comprendra à quoi ils servent.
(1) En anglais, pas en management
(2) Notez bien : "me calmer". Pas "Dormir".
(3) Oui, calmage. Cherchez pas dans le dico, je suis moins culté(4) que vous.
(4) "Cultivé", mais sans le "iv", ça va plus vite
Bon, il faut les attendre tes posts, mais ils valent l'attente ! Sans vouloir te souhaiter un autre voyage pourri pour avoir le plaisir de te lire, j'avoue que si ton inspiration pouvait naître d'événements plus plaisants (ou plus fréquents) je ne dirais pas non !
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