jeudi 25 janvier 2018

Tristan

Encore un article pas super drôle. Faudrait vraiment que mes proches fassent de sérieux efforts et arrêtent de mourir, ça remplit ce blog de billets dont le fond est relativement tristounet.

Pour une fois, je ne vais pas écrire la chonique de ces dernières éprouvantes semaines, mais juste coller le discours prononcé au cours de l’enterrement de Tristan, mon frère, mon ami, mon maître. Un peu comme un backup quoi. Pour les lecteurs qui pousseront plus loin, je précise toutefois qu’une connaissance des principales chansons de Claude François (dont Tristan était un fan absolu) permet de mieux appréhender le dernier tiers du discours.

Ce blog étant censé être dédié à la réflexion et aux pensées profondes, en voici une, inspirée par son départ : tu ne sais pas que tu vieillis parce que tes cheveux blanchissent ou se clairsèment, ni parce que tes articulations te font mal. Non, tu sais que tu vieillis parce que tes proches commencent à tomber de plus en plus souvent.

Mes zouzous, Sylvain et Quentin m’ont énormément aidé dans la rédaction et la répétition de ce petit discours et je les en remercie vivement. J’étais un peu vidé la veille de l’enterrement. Quelques idées ici ou là, mais rien de bien terrible. Que du banal, du facile, du prêt à faire pleurer la foule à l'église. J'étais à deux doigts de faire savoir que je ne dirai finalement rien. Mais, avec leur aide et leur participation active, hop, c’est venu. Il s’agit d’un discours, et j’ai essayé d’y mettre le ton, de faire des pauses entre les principales parties (marquées en points de suspension dans le texte). De faire drôle aussi, parce que bon, l’ambiance plombée et les pleurs, ça va un temps, mais à un moment, faut aussi que ça respire, tout ça, de l'air ! Du rire ! Place aux vivants !

Bien entendu, certains passages sont d’autant plus drôles qu'on a connu Tristan. Ce qu’on aurait du.

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Petit discours. Enterrement de Tristan, le 25 janvier 2018.
[. . .] => Pause
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Alors.

Donc.

Tristan.

Tristan est mon grand frère et je voudrais tenter de le raconter. Au vu des témoignages que nous avons eu, la famille, les amis, je pense qu’on peut dire que Tristan était [compter sur les doigts] un intellectuel, de gauche, intelligent, rigolo, avec un côté anxieux permanent.

L’éloignement géographique a fait qu’on ne s’est pas beaucoup vu au cours de ces 30 dernières années, mais cet éloignement n’avait aucune importance. Aucune importance, parce qu’on s’aimait.

On s’aimait comme des frères.

. . .

Vous avez compris ? Ça c’est du Tristan. Un de ses Top 3 répétitifs. Il fait une blague, regarde droit dans les yeux et dit, en hochant la tête, [L'imiter] « T’as compris ? ».


Quelques souvenirs me viennent à l’esprit, un peu en vrac.

Par exemple, nous sommes enfants, je l’ai poussé un peu à bout et le voilà à présent, à califourchon sur moi, essayant de m’étrangler.

. . .

Tristan est inventif, acteur, scénariste et metteur en scène. Ainsi, il avait inventé le coup du portefeuille, que je vous résume. Je dépasse une personne, si possible agée, en courant. Juste après l’avoir dépassée, hop, je laisse tomber mon portefeuille. La personne appelle, mais je fais semblant de ne pas l’entendre et disparais au coin de la rue. Tristan arrive, dit qu’il va courir rapporter l’objet. Le passant, confiant, lui donne le portefeuille et hop ! Tristan fonce, court à toute vitesse.

Dans la direction opposée.

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Il y a aussi ce souvenir, dans lequel, juste un peu plus âgé, il affronte vaillamment les oncles, voir les cousins, de droite, dans des discussions politiques très argumentées, avec des phrases lyriques, parfaitement tournées.

Puis le voilà, à 18 ans, rue Cler, bastion imprenable de la droite Parisienne. Vendant l’Huma. Rue Cler. Droit dans ses bottines à talonnettes.

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Je lui dois énormément, c’est lui qui m’a tout appris. Qui m’a élevé à l’Hara-Kiri, Charlie Hebdo ou l’Echo des Savanes. C’est vous dire le bagage qui est le mien grâce à lui, et je t’en remercie mon frère.

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Tout le monde s’accorde à dire qu’il était très drôle, et, de fait, là encore, je lui dois tout. Il m’a transmis ce en en quoi il était le meilleur : cet art de l’extrême finesse dans le calembour.

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Enfin, après avoir très rapidement raconté ces quelques souvenirs, il ne m’est pas possible de parler de Tristan sans évoquer quelqu’un qui a énormément compté pour lui. Quelqu’un de fondamental dans sa vie : Claude François, ce chanteur qui n’a jamais laché prise.[. . .] Je crois qu’à peu près tout le monde ici se souvient précisément de Tristan, imitant Claude chantant Le lundi au soleil, ou disant (imitation, voix nasillarde) « ouiiiii ».

En même temps, Tristan ne pouvait rien y faire, il aimait toujours les chansons qui parlent d’amour et d’hirondelles. Ce qu’il préférait, c’était une chanson qui s’en va et qui revient, qui se chante et qui se danse et revient et se retient. Comme une chanson populaire, quoi.

Je l’ai eu quelques fois, le lundi, et il me disait qu’il serait mieux au soleil, dans l'odeur des foins. Qu’il aimerait mieux cueillir le raisin. Ou, simplement, ne rien faire, le lundi, au soleil. Alors je lui disais « mais vas donc à Rio ! Vas à Rio faire plus de bruit que toutes les cymbales du carnaval ! ».

Enfin une dernière qui l’aurait bien fait rire. Très limite dans le contexte mais lui, il n’aurait pas hésité comme je le fais.

Donc.

La semaine dernière, Tristan est dans le coma depuis cinq jours. Je suis dans sa chambre, en réanimation. Et régulièrement, ben, je me lève

[. . .]

et je le bouscule

[. . .]

Mais Il ne s'réveille pas.

[. . .]

Comme d’habitude

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Et maintenant, quand je l’appelle, le téléphone pleure, mes mots se meurent dans l’écouteur.

Tristan, nous allons affronter la vie sans toi. Tu étais drôle, mais ta dernière blague n’est vraiment pas rigolote.

Tu vas me manquer, mon frère, mon ami.





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